« Connais-toi toi-même ! » : « Je suis l’étranger, l’exclu, le rejeté. »

« La scène est recouverte de chaises noires…
Des chaises alignées, en rangées, qui évoquent une salle de classe, un aéroport, une salle d’attente… »…
Mani Soleymanlou se tient au milieu de ces chaises : un comédien, oui, mais surtout un errant parmi ceux qui n’ont jamais pu poser leurs bagages, ni chez eux, ni ailleurs…

Un « gars d’ailleurs », un « étranger » au nom compliqué, déchiré en syllabes mal prononcées, au visage stéréotypé que l’on scrute pour en jauger l’utilité ou la dangerosité — avant de le ranger dans les cases des minorités « visibles » ou « invisibles ».

Bébé à Téhéran, enfant à Paris, adolescent à Toronto, jeune adulte à Ottawa, adulte à Montréal, Mani Soleymanlou raconte : « L’Iran, on me l’a arraché… En France, j’étais Iranien. À Toronto, j’étais, un temps, un Français-Iranien, puis un Canadien — who quickly became Canadien… À Ottawa, j’étais un Torontois-Français-Iranien. À Montréal, je suis un Torontois-Arabe-Iranien qui a vécu en France et à Ottawa. Aujourd’hui, on me dit : “T’es Québécois”… Je ne sais plus. ».

Mani Soleymanlou est directeur artistique du Théâtre français du CNA et fondateur de la compagnie Orange Noyée, auteur des pièces Un, Deux, Trois. Il est l’un de ceux qui « ne ressemblent pas à la majorité » ; l’un de ceux qui ne savaient pas qui ils étaient, mais qui ont su — un jour — qui ils sont. En somme, il est l’un des survivants de la vie vagabonde de milliers de « perdus », d’immigrants, d’étrangers…

Mais que veut dire être un étranger ?

L’étranger est-il celui qui se cherche, qui se définit et se redéfinit sans cesse ?

Celui qui construit et déconstruit en permanence le casse-tête de son existence, de son identité, de celle de ses enfants ?

Est-il celui qui oscille entre un sens et son contre-sens ?

Que voit un étranger quand il se regarde dans le miroir ?
Forcément, il se retrouve face à cette étrangeté, celle que le monde voit, perçoit, projette sur lui, cet être qu’il est et qu’il ne connaît pourtant pas. Cette identité connue des autres, inconnue de lui-même, devenue son nom, son visage, son étiquette.
L’étranger est-il celui qui marche sur un sentier de l’étrangeté, tracé par les autres et creusé par ses propres pas ?

L’étrangeté émane de lui comme une odeur nauséabonde que l’on tente de masquer avec un parfum fort, oubliant parfois que l’espace où l’on vit est sans parfum et que les autres y sont allergiques. La honte, la culpabilité, l’incapacité à étouffer ce qui se dégage de lui l’étouffent à leur tour. Dépouillé par la peur d’être écrasé ou éradiqué, comme un insecte indésirable dont on craint le mystérieux pouvoir d’invasion et de contagion.

L’étranger… est-il vraiment un étranger ?
Que signifie ce mot, creux, inodore ?
Pourquoi est-il ainsi ?
Comment est-il devenu cette chose indéfinissable, même lorsqu’il change de corps, de culture, de visage ?
Pourquoi est-il toujours cet être sans être ?
L’étrangeté est profonde, viscérale. Elle dépasse la terre, la nation, l’histoire, la psychologie, la sociologie… L’étrangéité, avant tout, est une sensation : désagréable, pénible, parfois insupportable — celle de n’être personne.