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Évidemment, l’étranger est un étranger parce qu’il ne ressemble pas aux autres, parce qu’il ne se conforme pas à leurs critères, parce qu’il ne reflète qu’une image déformée de leurs aspirations. Jamais assez beau.
Jamais assez parfait.
Jamais assez aimé, ni apprécié, ni même propre.
Il doit faire plus, toujours plus. Et il est toujours maladroit. Jamais à sa place.
Toujours mis de côté, rejeté, exclu.
Évidemment, il est étranger parce qu’il ne parle pas comme les autres, ne mange pas comme eux, ne pense pas comme eux, ne croit pas comme eux, ne s’habille pas comme eux, ne s’aime pas comme eux, ni à leur manière. L’étrangeté est-elle ce néant qui remplit les corps et les âmes d’un vide sans fond, sans lumière, froid et glacial ?
Symptôme permanent des mille solitudes ?
Les étrangers sont-ils ces écrans blancs où défilent les reflets de leurs identités, indésirables et désirables, en contraste constant : noms, pronoms, adjectifs, verbes, images, lumières, souvenirs, devoirs, êtres et non-êtres…
Des mots entendus, vus, lus, écrits, décrits, insinués, dévoilés, voilés…
Des mots conjugués au passé, au présent, au futur — souvent sur un ton impératif :
« Il faut ! Je dois ! Tu dois ! », répétés hors du temps et de l’espace, chargés de jugement, avec le ton agressif de tous les temps et de tous les lieux.
Parfois, les catégories « visibles » et « invisibles » deviennent des êtres, des définitions, des identités. Les mots résonnent en écho, à l’infini, dans le vide de certaines existences.
Les concepts, légitimés par les autorités, scientifiques, politiques, juridiques, se creusent dans la conscience comme des épitaphes sur des tombes de vivants.
Ils mettent des noms sur les ressentis, les pensées, les comportements…« Connais-toi toi-même », la maxime delphique résonne toujours, depuis que le temple d’Apollon était vivant, défiant les siècles et les philosophies.
Elle continue à être traduite, reformulée, réécrite. Les livres, les vidéos, les podcasts prolifèrent et inondent les esprits. Alors pourquoi cela ne fonctionne-t-il pas pour lui ?
Évidemment : aucun sentiment d’appartenance n’assouvit la soif d’amour de l’étranger.
Puisqu’il est un étranger… parmi les autres.
Est-il vraiment rejeté, ou se rejette-t-il lui-même ?
Est-il exclu, ou s’exclut-il de lui-même ?
Est-il discriminé, ou est-ce lui, le racisé, qui s’est laissé racialiser, aliéner, soumettre par la force des plus forts, les autres, les non-étrangers ?
Est-ce lui, l’étranger, qui avale les stigmates et les préjugés comme des pilules amères, espérant qu’elles effaceront son étrangeté ?
Est-ce lui qui a répondu trop vite à la question « Connais-toi toi-même », en déclarant :
« Je suis l’étranger, l’exclu, le rejeté », sans croire en son identité, sans comprendre la profondeur de son être ?
Est-ce lui qui craint les chemins non tracés, supportant mal l’inconfort de sa zone de confort ?
Est-ce lui qui craint la liberté de façonner son identité comme un potier façonne l’argile ?
La liberté de croire en la force de ses mains, en son savoir, en son autonomie, en sa capacité à se relier à l’autre, en défiant l’échec et le rejet ?
Il est difficile de changer les étiquettes de l’étranger.
Mais il est peut-être plus facile de ne pas avaler la pilule de l’étrangeté.



