La noyade dans le vide de l’existence : le vide

Si, par malheur, l’étranger n’arrive pas à suivre le flux du monde ni à se forger des couleurs adéquates pour se camoufler — pour une raison ou une autre —, il se noie alors dans le vide et la souffrance, submergé par le sentiment pénible d’incapacité et par l’amer rejet. Il maudit son existence et en vient à espérer la mort.

Il se replie sur lui-même, s’écrase davantage afin de ne plus sentir la souffrance de l’écrasement.
Paradoxalement, c’est à travers ce vide que l’étranger peut créer son identité. Le néant devient le soi : ce qu’il est et ce qu’il peut faire. Il lui accorde une place, malgré lui, dans le chaos du monde. Bien que douloureux et vertigineux, le vide devient le seul récit narratif qui le représente, qui explique son existence, qui justifie ses émotions et clarifie ses comportements ainsi que ses relations.
« J’ai toujours été ainsi ! », affirment certains.
Le vide peut donner un sens à sa solitude, voire se transformer en fatalité, effaçant tout espoir d’un avenir meilleur et enfermant la personne dans l’immobilité d’un présent figé. Bien que lourd et étouffant, il devient paradoxalement utile et sécurisant, parce qu’il est familier et connu. Il prend la forme d’un mal-être, d’une honte solidifiée qui le maintient en dehors du temps et de l’espace, le protégeant de l’anxiété et de la peur qu’impliquerait la responsabilité de chercher un autre sens à sa vie — « qui est, de toute façon, un échec », disent d’autres.
Ainsi, le vide devient un confort inconfortable, un rempart contre tout bouleversement, contre tout changement, contre toute tension existentielle — alors même que celle-ci est inhérente à la condition humaine et indispensable à la santé psychique, comme l’affirmait Frankl.
Le vide de la non-existence peut donc devenir une structure identitaire pour un être brisé. Mais il le maintient prisonnier d’un cycle de détresse sans véritable issue.